Linge blanc et lessive

La lessive et statut social de la femme

Linge blanc et lessive

Une histoire de moeurs féminines

Comme décrit dans l’article sur la lingerie féminine, le 16° siècle est celui du blanc, synonyme de propreté et d’hygiène. En effet, suite aux nombreuses maladies dermiques, on utilise le port de la toile blanche pour assénir la peau.

Le symbole du blanc

Le baptême

Les bébés baptisés, revêtaient une chemise blanche, dans un premier temps pour le baptême par immersion; celle-ci s’est transformée en robe blanche, pour le baptême par aspersion.

Egyptiens et Romains

Cependant, les Egyptiens affectionnaient déjà le port de vêtements de lin blanc, symbole de pureté, blanchi par des lavages successifs et séchages au soleil.

A l’époque Romaine, un candidat à un examen, un poste ou mariage, était vêtu de blanc (Candidus signifie blanc en latin). Le blanc était lié à un phénomène initiatique qu’il soit rituel ou social.

Le religieux

Les prêtres revêtent une aube, tunique blanche, pour leur ordination; son ancêtre est la « linea »(VII°s), tunique de lin qui devient plus tard l’aube. Le pape est vêtu de blanc, de la « calotte aux mules ». La communion solennelle, rite de passage de l’enfance vers l’adolescence, se vit aussi dans une tunique blanche.

L’au delà

Les momies étaient recouvertes de bandelettes de lin blanches (1000 mètres pour un pharaon). Le linceul de lin blanc, du latin linteoleum: linge, toile. Ainsi le lin blanc était symbole de pureté et d’initiation.

Usages de nettoyage

Les dessous remonteraient à l’antiquité Grecque: fine bande de tissu nommée Apodesmos, portée sous le chitôn, et le Zona, qui ceignait le ventre. Les Romains le nommaient caestus. Leurs sous-vêtements étant invisibles, on ne leur accordait que peu d’importance, ils étaient ainsi très rarement changés et lavés.

Les familles possédaient très peu de linge de corps, contrairement au linge de maison: nappes, draps, serviettes, réservé aux  riches familles, qui le possédaient en grande quantité.

L’on donnait par contre une grande valeur aux vêtements de dessus, qui eux étaient bien entretenus.

Au XIX° siècle, la quantité de linge de corps et de maison par famille devient très important. On peut commander ces articles par correspondance, et ils font partie de la dot d’une futur mariée.

Ainsi, le linge acquiert une valeur sociale, ll dépasse l’usage quotidien de simple port. Il était fabriqué en chanvre, dont la culture, la récolte et le filage étaient un travail de femmes.

Des rôles homme femme répartis

Le nettoyage du linge de corps et de maison était assuré par les femmes, alors que les vêtements de dessus étaient lavés par les hommes, des professionnels extérieurs à la maison. En effet, les vêtements de dessus étaient confectionnés dans des étoffes très difficiles d’entretien. Une fois usé, le vêtement perdait son statut social et était récupéré par des fripiers. Ces derniers nettoyaient, dégraissaient les vêtements, les rapiéçaient, les teintaient. Les tissus très abimés, ne résistaient pas longtemps, et ne pouvaient plus être lavés à l’eau chaude.

Le nettoyage à sec coûtait très cher aux familles, qui organisaient de plus en plus la lessive à la maison.

Techniques de lessive

Jusqu’au XIX° siècle, la technique de lavage utilisée était la lessive coulée ou la buée (la bue ou la bui): « le linge était savonné, trempé, il était placé dans un cuveau à écoulement, les pièces les plus lourdes au fond, et le linge fragile sur le dessus (sinon lavé à la main). Un linge renfermant de la cendre de bois était placé dessus, et commençait le coulage: de l’eau bouillante était versée sur la lessive, et on renouvelait cette opération plusieurs fois de suite. Puis le linge était longuement bouillit, et rincé dans un lavoir ». La lessive était pratiquée selon un calendrier précis, surtout dans le monde rural, afin d’étaler la fréquentation des lavoirs, et en accord avec toute la communauté.

Le rôle social de la lessive

La buée était répétée dans la France entière et était le théâtre de superstitions, de croyances populaires, liées aux symboles de mort et purification.Chaque année, on procédait à deux grandes lessives: c’était un évènement social qui attirait un grand nombre de femmes, domestiques et paysannes.

Le vendredi, jour saint, était interdit de lessive. La lessive était un travail harassant, beaucoup de femmes se penchaient en avant pour rincer le linge, et supportaient le poids du linge à la force des reins. Plus tard les inventeurs s’inspirèrent des savoir-faire répétés par ces femmes, pour parfaire les mécanismes des machine à laver.

L’hygiène

Le XIX° siècle est celui de la lutte contre les microbes et des thèses hygiénistes. Les progrès techniques améliorent le niveau de vie. Les hygiénistes conseillaient les bains froids pour lutter contre les maladies. D’après Sylvette Denèfle, ces thèses  » tentent à encourager la bonne santé de la classe ouvrière », pour un meilleur rendement au travail.

Influencée par l’Angleterre, la France ouvre des bains publics; le savon obtient un grand succès et devient le symbole social de la différence entre les classes sociales pauvres et riches. En revanche, la toilette ne devient quotidienne qu’à la seconde moitié du XX° siècle.

Les blanchisseuses

En ville, le métier de blanchisseuse était organisé en corporations. Pour les tâches de lessive, celles-ci revêtaient de larges tabliers et des manchettes spéciales, mais rien ne les protégeaient de la chaleur, de la vapeur, leurs mains souffraient au contact du savon, de la soude et de l’ammoniaque.

Le linge de maison était nettoyé en banlieue de Paris, dans des lavoirs. Ceux-ci ont été créés dès le début du XVII° siècle, en périphérie de Paris. Auparavant, tous les points d’eau accessibles étaient utilisés.

Les bateaux lavoirs

Mais le gros du linge sale, à Paris, était confié à des laveuses abonnées à des bateaux-lavoirs, ou à des lavoirs publics, créés pour palier au manque d’hygiène de la lessive à domicile, décrite ci-dessus. Sur les « quais » des bateaux-lavoirs, il y avait des cordes tendues entre des piquets, pour faire sécher le linge. Fonctionnaient aussi des entreprises qui venaient chercher le linge sale à domicile.

À la maison

Le petit-linge plus fragile: sous-vêtements, dentelles, coiffes, etc. était nettoyé par la domestique, en charge de le blanchir chaque semaine à la maison. Dans la cuisine, souvent minuscule, elle faisait bouillir, sur la cuisinière à bois ou à charbon, la lessiveuse pendant des heures. (Les savonneuses à circulation apparaissent dès la fin du 1er Empire).

Le linge était préalablement savonné par les laveuses, puis bouillit, enfin rincé. Ensuite on étendait le linge sur des cordes pour le séchage; l’humidité qui s’en dégageait stagnait et se répandait sans être aucunement évacuée au dehors; Se déroulaient en même temps le lavage de la vaisselle, et les buées de la préparation des repas. Ceci était extrêmement malsain. Dans cet espace clos et très humide, les domestiques tombaient souvent malade.

La lessive était faite tous les quinze jours ou tous les mois. Les trousseaux des riches familles comportaient de nombreuses pièces. Pour faciliter les opérations, le linge sale était stocké, étendu dans le grenier, en attente des lessives…

Classes sociales

Distinction sociale, les familles bourgeoises étaient les seules à posséder suffisamment de vêtements de rechange; Ainsi, la lessive des dessous avait lieu tous les quinze jours.

Les familles de classe sociales plus basses lavaient leur vêtements une fois par semaine, puisqu’elles ne possédaient pas plus de trois articles de rechange pour chaque type de vêtement.

Chez les familles de classe moyenne, tous les domestiques participaient à la lessive; la maitresse de maison préparait un repas froid la veille, car les aides n’étaient alors plus disponibles pour les tâches habituelles. Toute la famille se levait alors très tôt, afin que la domestique prépare le petit déjeuner avant de démarrer la lessive.

L’organisationel de la lessive

Souvent, une aide extérieure était embauchée pour la lessive; elle venait deux jours sur place, dès six heures du matin. Les domestiques de la maison se chargeaient des autres tâches, trier le linge, le sécher et le repasser. Les aides étaient payées à la pièce lavée, des enfants étaient aussi parfois employés.

Le lavage pouvait durer des jours entiers, car les familles avaient ainsi stocké plus de cent vêtements à laver (les familles bourgeoises). Il fallait aussi les faire sécher et les repasser.

Le tri

Les premières machines à laver existaient déjà au XIX° siècle, mais leur efficacité n’était pas encore probante: les vêtements s’abimaient, les machines étaient peu maniables. Leur succède une machine utilisant la vapeur, mais elle connait peu de succès.

Les domestiques triaient le linge par couleur et par tissu. Les vêtements trempaient le samedi, pour être lavés le lundi.

Quel travail !

Le lavage et blanchissage avec du savon et de l’eau chaude était réservé aux vêtements de coton blanc, de lin et de chanvre (sous-vêtements, chemises d’hommes, tabliers, chasubles, cols et manchettes). Les vêtements de dessous étaient souvent changés, et de lin car plus facile à nettoyer. Les vêtements étaient trempés avec des cristaux de soude pour les tâches de graisse.

Ainsi on ajoutait plusieurs additifs: « efflorescences salines, les produits proches du salpêtre du sol, les colloïdes des sols argileux, l’urine putréfiée, l’herbe de borith ou saponaire appelée herbe des foulons, la cendre de bois ou les fougères. »

Le savon se présentait sous forme de bloc, que l’on coupait au fil de métal, et stockait sur des armoires, afin qu’il sèche et durcisse.

Étoffes fragiles

Les vêtements fragiles étaient enfermés dans des sacs de calicot, pour les protéger. Au rinçage, on ajoutait du bleu, afin d’éviter le jaunissement des tissus. Le bleu était placé dans un linge au tissage très dense, puis noué; il était brassé dans l’eau afin de répartir la couleur et d’agir uniformément sur le linge.    

Les laines de couleur étaient lavées à part, avec par exemple deux cuillères à soupe de farine, dans 1/4 de litre d’eau froide. L’eau était bouillie durant dix minutes, on y ajoutait de l’eau savonneuse chaude, puis les lainages. Ceux-ci étaient ensuite rincés dans trois bains d’eau consécutifs.

Les opérations de blanchissage

Le blanchissage du linge s’effectuait grâce à ces trois types d’actions: (Histoire de la machine à laver*)

  • l’action physique et la dissolution des impuretés: l’eau pénètre à l’intérieur des fibres et entre les fils des tissus. elle provoque des gonflements, des ramollissements et entraine une perte de résistance des impuretés.
  • Le chimique: l’adjonction d’adjuvants à l’eau transforme la nature de la salissure et la dissout.
  • Le mécanique: elle est assurée par les frottements, les percussions, les pressions que les blanchisseuses effectuent au moyen de battoirs, de brosses et de torsions manuelles.

L’amidonnage

Le dernier jour était réservé à l’amidonnage, pour les tissus les plus lourds. Ils étaient trempés dans un mélange encore chaud d’amidon, de borax, de cire de bougie, puis séchés avant le repassage. Cependant, beaucoup de vêtements étaient repassés mouillés, puis séchés.

Débuts de la machine à laver

Les villes comptent désormais les  blanchisseries mécaniques dans leur plan d’urbanisme. On trouve à présent des laveuses mécaniques dans les lavoirs.

Les industriels créent la lessiveuse industrielle.  Puis la machine à laver et l’essoreuse viennent remplacer les tâches les plus difficiles à exécuter.

L’après seconde guerre mondiale et l’accession au travail salarié par les femmes, voit le succès grandissant de la machine à laver automatique, qui est une révolution. La lessive devient alors un travail individuel, il n’est plus partagé par toute une communauté.

Le rôle de la femme

Malgré la révolution féminine, la tache de la lessive semble incomber aux femmes de manière inexorable, quelque soit le milieu social. Alors que les autres taches ménagères, se répartissent entre hommes et femmes, de façon plus équitable.

La lessive, comme écrit plus haut, était le théâtre de croyances, liées aux symbole de la mort et de la purification par l’eau. La femme assistait à l’origine de la vie par le métier de sage-femme, vêtait les morts par le rôle d’habilleuse.

Un rôle cantonné à la sphère domestique

Le linge sale, souillé, était confié à des laveuses de couche sociale très basse. « Elle lave son linge sale en famille ». Les souillures deviennent symbole de sexualité et de mort, « dans l’ordre du sacré, du religieux, du tabou ». Tout textile devant être nettoyé à l’eau l’était par les femmes.

Sylvette Denèfle, dans son ouvrage Tant qu’il y aura du linge à laver, note que la femme était interdite de lessive de tissus sacrés du culte catholique, jusqu’au milieu du XX° siècle, et les femmes menstruées, n’avaient pas le droit de laver le linge.

Ainsi, la notion de propreté, de pureté, est liée au statut de la femme. Elle dépasse le rôle social traditionnel et l’héritage culturel d’une éducation, qui plaçait les hommes à l’extérieur dans la sphère publique, et les femmes à l’intérieur, dans la sphère domestique: dans la période où se mettent en place ces nouvelles attitudes sanitaires et morales autour de la propreté, l’éducation inculque des principes sensiblement différents aux garçons et aux filles; Symboliquement, la femme génère la vie, une vie ordonnée, organisée, propre. C’est une exigence morale qui affecte à la femme la tache de la lessive:  c’est la marque de sa vertu et de son influence morale positive sur sa famille  et la société.

Ordre moral et social

Pour Sylvette Denèfle, la société a fait de la femme de la fin du XX° siècle, une garante d’un ordre moral et social, avec pour arme des lessives aux parfums aseptisés, qui dissolvent les souillures, les odeurs indécentes. Elles sont les gardiennes des limites de la vie privée…objets du désir, elle doivent en maitriser les désordres, et les effacer… elles tracent la limite sociale de l’intime.« 

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Liste de produits chimiques utilisés à la fin du XIX° siècle pour l’entretien et le nettoyage des vêtements:

Alcool:

Solvant pour les tâches de graisse et d’huile. Nettoyage  à sec. Volatile.

Ammoniaque:

alcali. toxique, issu des cendres.

Bière:

Utilisé comme l’alcool.

Benzine:

Obtenue par la distillation du pétrole. Solvant pour graisses et résines, hautement inflammable.

Benjoin:

Résine aromatique provenant d’un arbre Japonais.

Bleu « de méthylène » :

Une poudre indigo, ajoutée à l’eau de rinçage pour déjaunir.

Borax:

Sel formé par la combinaison d’acide borique et d’eau carbonée. Antiseptique, toxique.

Camphre:

Substance aromatique utilisée probablement comme lubrifiant. Hautement volatile.

Carbonate de potasse:

Alcali. La potasse est un composant du savon.

Savon blanc:

Composé d’huile d’olive et de soda, se dissout dans l’eau chaude et tiède (pour les tissus fragiles).

Jus de citron:

Désinfectant, désodorisant, agent de blanchiment.

Chloroforme:

liquide aromatique et volatile, solvant des graisses.

Chlorure de mercure:

Antiseptique puissant. Protège des mites et des insectes.

Blanc d’oeuf:

Agent détergent pour le cuir. Sec il devient un agent apprêteur.

Feuilles de figues:

Contient de l’acide oxalique.

Craie:

Pierre saponifier,poudre de magnésium utilisée par les tailleurs pour marquer les vêtements, agent absorbant.

Silicate d’alumine:

Fine poudre utilisée pour absorber les graisses et autres tâches.

Acide chlorhydrique:

Puissant acide, utilisé pour rénover les tâches, et agent anti-rouille, mais occasionnant des dommages à la cellulose des fibres textiles. Appelé aussi Esprit de sel.

Gélatine:

Issue des cartilages de poissons; utilisée pour nettoyer, même usage qu’un savon.

Kerosene:

Obtenu  par distillation de la paraffine. Solvant.

Acide oxalique:

Acide de la famille des oseilles, hautement  toxique, utilisée pour rénover les tâches de rouille, d’encre.

Rhubarbe:

Feuilles et tiges; contient de l’acide oxalique.

Terre en décomposition:

On obtient une fine poudre utilisée comme absorbant et agent brillant.

Sel:

Absorbant, utilisé pour la teinture.

Esprit de térébenthine:

Jus résineux provenant du pin et d’autres résineux, solvant utilisé en peinture, vernis et cires.

Ether:

Liquide volatile. anesthésiant. Diluant, décolorant. Toxique.

Vinaigre:

Contient de l’acide acétique. Astringent, fixateur.

Sources bibliographiques:

Tant qu’il y aura du linge à laver /Sylvette Denèfle / De la division sexuelle du travail domestique/ Collection Panoramiques, Arléa-Corlet/1995

La place des bonnes/ La domesticité féminine à Paris en 1900/Anne Martin-Fugier, Editions Perrin / 2004

Histoire de la machine à laver/Un objet technique dans la société française/Quynh Delaunay/Presses Universitaires de Rennes/1994

Crinolines and crimping irons/Victorian clothes; how they were cleaned and cared for/Christina Walkley and Vanda Foster/Peter Owen Editor-London

Tissu et vêtement, 5000 ans de savoir-faire/Catalogue de l’exposition/1986/ Musée archéologique départemental du Val-d’Oise.

Histoire technique et morale du vêtement/Maguelonne Toussaint-Samat/Edition Bordas, Culture/1990

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